Externaliser en toute sécurité

Externaliser en toute sécurité

27 décembre 2021

poignée de main

L’externalisation par le biais de la sous-traitance ou la prestation de main d’oeuvre est bien ancrée dans le secteur du gardiennage, de la propreté, de la sécurité, de la maintenance, de la restauration, de la logistique et les centres d’appel. Elle concerne aussi les fonctions « support » de l’entreprise, notamment la paie et les ressources humaines. Utilisée pour des raisons économiques ou techniques, l’externalisation relève de la liberté de gestion de l’employeur et peut être source de flexibilité et de croissance pour l’entreprise « utilisatrice » ou « d’accueil », à qui est mis à disposition du personnel. Il s’agira de définir le prêt de main d’oeuvre, avant d’analyser les sanctions encourues en cas d’illicéité, et enfin, de veiller à sécuriser les pratiques RH de l’entreprise.

Qu’est-ce que le prêt de main d’oeuvre ?

La mise à disposition d’une entreprise utilisatrice, du personnel dont la gestion relève d’une autre entreprise, connaît des limites posées par l’article L.8241-1 du code du travail. En effet, « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre est interdite », à l’exception des entreprises de travail temporaire, des entreprises de travail à temps partagé, des agences de mannequins, des associations ou sociétés sportives ou encore des organisations syndicales ou patronales. La mise à disposition est licite quand elle ne poursuit pas de but lucratif, autrement dit, « lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition ». Qu’en est-il de l’externalisation, qui consiste à confier à une entreprise prêteuse, la réalisation partielle ou totale d’une mission préalablement définie, sous sa propre responsabilité et avec le concours de son personnel pouvant venir travailler dans les locaux de l’entreprise d’accueil ? Le code du travail reste silencieux. Cependant, la jurisprudence précise que l’externalisation sera licite quand elle ne sera pas l’objet exclusif de l’opération, mais un des moyens mis en oeuvre pour réaliser la mission. A défaut, le prêt de main d’oeuvre sera illicite.

Quelles sont les sanctions encourues en cas de prêt de main d’oeuvre illicite ?

Les sanctions encourues sont de deux ordres : civil et pénal. D’un point de vue civil, le contrat conclu encourra la nullité. En conséquence, le prêteur ne pourra réclamer le paiement de sa prestation. Qui plus est, le salarié pourra demander réparation du préjudice subi devant le conseil de prud’hommes et solliciter la reconnaissance d’un contrat de travail avec la société d’accueil. Devra être démontrée l’existence d’un lien de subordination caractérisant le travail dissimulé, indemnisé forfaitairement à hauteur de six mois de salaire. Un redressement Urssaf pourra également être opéré. Sur le plan pénal, le prêteur et l’entreprise utilisatrice pourront être poursuivis devant le tribunal correctionnel en tant que coauteurs de l’infraction. Sur le fondement de l’article L.8243-1 du code du travail, la personne physique peut encourir notamment deux ans d’emprisonnement et une amende de 30 000 euros ou l’une de ces deux peines. Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende, lorsque l’infraction est commise à l’égard de plusieurs personnes ou à l’égard d’une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur. Les peines sont portées à 10 ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende, lorsque l’infraction est commise en bande organisée. Ces peines sont assorties éventuellement d’une interdiction de sous-traiter de la main d’oeuvre pour une durée de deux à dix ans. Le tribunal peut ordonner, aux frais de la personne condamnée, l’affichage du jugement aux portes des établissements de l’entreprise et sa publication dans les journaux qu’il désigne. Quant à la personne morale, elle peut encourir en vertu des dispositions de l’article L.8243-2 du code du travail les sanctions suivantes :

  • une amende d’un montant maximal de 150 000 euros. En cas de circonstances aggravantes, le montant s’élèvera à 375.000 euros, lorsque l’infraction est commise à l’égard de plusieurs personnes ou à l’égard d’une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur et à 500 000 euros, lorsque l’infraction est commise en bande organisée ;
  • la dissolution de l’entité juridique ;
  • l’interdiction d’exercer l’activité concernée, à titre provisoire ou définitif ;
  • le placement sous surveillance judiciaire pour une durée maximale de cinq ans ;
  • la fermeture définitive du ou des établissements concernés ;
  • l’exclusion des marchés publics à titre définitif ou provisoire ;
  • la confiscation de la chose qui a servi ou devait servir à commettre l’infraction ;
  • l’affichage de la décision ou publication par voie de presse ou audiovisuelle.

Lorsqu’une amende est prononcée à l’encontre de la personne physique et/ou morale, la juridiction peut ordonner la diffusion de l’information pour une durée maximale de deux ans sur un site internet dédié, après avis de la Cnil. Enfin, en cas de procès-verbal dressé par l’inspection du travail, l’autorité administrative pourra refuser d’accorder, pendant une durée maximale de cinq ans, aux auteurs de l’infraction, les aides financières liées aux politiques d’aide à l’emploi et à la formation professionnelle.

Comment sécuriser vos pratiques ?

La jurisprudence s’est efforcée de définir trois critères permettant d’identifier les opérations licites. Le premier indice est la nature de la prestation fournie. La tâche à accomplir par l’entreprise prêteuse doit être définie avec précision, qui est tenue à une obligation de résultat envers l’entreprise utilisatrice. De plus, l’activité sous-traitée implique une spécialisation et un savoir-faire que les salariés de l’entreprise d’accueil n’ont pas (arrêt du 18 décembre 2019).

Les salariés doivent alors disposer d’une formation technique spécifique. Si le prêt de main d’oeuvre est un élément d’une opération de sous-traitance ou de prestation de main d’oeuvre plus large comprenant différentes prestations, alors le caractère licite sera renforcé d’autant. Il en est ainsi lorsque le prêt de main d’oeuvre s’accompagne d’une mise à disposition de matériels, de moyens ou d’une prestation intellectuelle.

Le deuxième indice est l’encadrement des salariés mis à disposition. Le prêt de main d’oeuvre, considéré comme licite du point de vue de la nature de la prestation à accomplir, pourra être jugé illicite. En effet, les salariés mis à disposition doivent bénéficier d’une totale autonomie vis-à-vis de l’entreprise utilisatrice et de son personnel, et ce d’autant plus que la mission à réaliser se situe dans les locaux de l’entreprise d’accueil. Ils doivent être directement encadrés par un membre de l’entreprise prêteuse, qui aura un pouvoir de direction, de contrôle et un pouvoir disciplinaire matérialisant ainsi le lien de subordination. Tel est le cas, lorsque la société prestataire de service assure non seulement la direction du personnel qu’elle a recruté, mais aussi la discipline et la sécurité, grâce à la présence constante de deux chefs de chantiers et de trois chefs d’équipe (arrêt du 21 janvier 1986).

Toutefois, une coordination étroite avec les responsables de la société utilisatrice sera souvent nécessaire pour la bonne réalisation de la prestation, sans pour autant engendrer un transfert de subordination. Par exemple, dans le cadre d’une prestation spécifique et technique, lorsque la société cliente donne des instructions, fournit un planning et contrôle l’obligation de résultat des sous-traitants (arrêt du 4 mars 2020).

Le dernier indice est le mode de rémunération. La rémunération peut renforcer le caractère licite de l’opération. La rémunération sera fixée forfaitairement en fonction du résultat à atteindre et non du nombre d’heures réalisées par les salariés mis à disposition. Néanmoins, cet indice jouera un rôle accessoire en comparaison des deux premiers exposés. En effet, si les deux premiers indices sont réunis et que la rémunération est fixée au temps passé, la chambre criminelle n’en tiendra pas forcément compte et reconnaîtra la licéité de l’opération (arrêt du 18 avril 1989).

Même si le prêt de main d’oeuvre est licite, il faudra veiller à ne pas tomber dans le délit de marchandage, soit parce que l’opération aurait pour effet de léser les salariés mis à disposition, soit parce qu’elle aurait pour conséquence d’éluder l’application d’un texte légal ou conventionnel.