Sécurisez vos contrats de sous-traitance : derrière tout contrat se cache un contrat de travail
10 mai 2021
Qu’est-ce qu’un contrat de sous-traitance ? Comment le distinguer du contrat de travail ?
L’article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 modifié par la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 définit le contrat de sous-traitance comme l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage ». On peut retenir que le contrat de sous-traitance est un contrat par lequel un entrepreneur confie, sous sa responsabilité, à un sous-traitant tout ou partie de l’exécution du contrat d’entreprise ou du marché public conclu avec le maître d’ouvrage.
Le champ du contrat de sous-traitance est vaste. N’est exclu aucun intervenant, cela peut tout aussi bien concerner une prestation matérielle qu’intellectuelle (arrêt du 28 février 1984). Fréquemment, le contrat de sous-traitance est utilisé pour masquer un contrat de travail et éviter ainsi le paiement de cotisations sociales par le donneur d’ordre. Cela concerne notamment des contrats conclus avec de « faux » travailleurs indépendants, des professionnels libéraux, de prétendus stagiaires, de « faux » franchisés, de « faux » gérants… On parle alors de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié. L’employeur se soustrait alors à la déclaration préalable à l’embauche, qui doit être effectuée dans les huits jours précédant l’embauche d’un salarié, aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement et à la remise du bulletin de salaire avec la mention du nombre d’heures réellement accomplies par le salarié.
La distinction majeure entre le contrat de sous-traitance et le contrat de travail est l’absence de lien de subordination. Le lien de subordination, qui caractérise le contrat de travail, recouvre les trois pouvoirs de l’employeur, à savoir le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction (disciplinaire). Pour caractériser l’existence du lien de subordination, les juges ne s’arrêtent pas à la volonté des parties, ni à la dénomination qu’elles ont donnée au contrat (arrêt d’Assemblée plénière du 4 mars 1983), mais aux conditions de fait dans lesquelles la prétendue activité de sous-traitance est exercée. Les juges ont recours à la méthode du faisceau d’indices pour mettre à jour ce type de montage. Pour caractériser le lien de subordination et requalifier le contrat de sous-traitance en contrat de travail, les juges peuvent s’appuyer sur le fait que le donneur d’ordre organise le travail des prétendus sous-traitants, les intègre à ses propres équipes de
salariés, leur fournit le matériel nécessaire, assure leur hébergement et organise même leurs déplacements. Ils n’ont alors aucune liberté d’action et l’organisation dans leur travail. Ils ne disposent également d’aucun savoir-faire spécifique propre par rapport aux salariés du donneur d’ordre (arrêt du 8 juin 2010). Ont aussi été requalifiés en contrat de travail des contrats de sous-traitance pour lesquels les juges avaient pris en considération l’absence de spécificité des tâches du sous-traitant chargé d’une activité identique à celle de l’entreprise donneuse d’ordre, l’identité des horaires de travail entre le sous-traitant et la société donneuse d’ordre ou l’absence de locaux spécifiques destinés aux sous-traitants (arrêt du 28 novembre 2017).
L’absence de clientèle ou de matériau propre du sous-traitant sont également des indices (arrêt du 28 novembre 2017). On peut citer notamment l’exclusivité du travail accompli pour le compte, sous l’autorité et le contrôle du donneur d’ordre (arrêt du 23 janvier 2018) ou l’utilisation de la tenue vestimentaire et du logo de la société cliente (Cour d’appel de Paris, 21 octobre 2005).
Quelles sont les sanctions applicables en cas d’illicéité du contrat de sous-traitance ?
A défaut de licéité du contrat de sous-traitance, les sanctions peuvent être très lourdes pour le donneur d’ordre et elles sont de trois ordres : civiles, administratives et pénales. Premièrement, le donneur d’ordre à l’encontre de qui est constaté le délit de travail dissimulé fera l’objet d’un redressement de cotisations et de contributions de sécurité sociale dues sur la rémunération du « faux » sous-traitant. Des majorations pour travail dissimulé sont applicables : 25 % du montant du redressement des cotisations et contributions sociales (article L.243-7-7 du code de la sécurité sociale). Le taux passera à 40 % en cas de circonstances aggravantes. On peut citer l’emploi d’un mineur soumis à l’obligation scolaire, le délit de travail dissimulé commis à l’égard de plusieurs personnes dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance est connu de l’auteur du délit ou commis en bande organisée (article L.8224-2 du code du travail). Une majoration de retard de 5 % est aussi appliquée.
En cas de procès-verbal établi pour travail dissimulé, l’Urssaf procède à l’annulation des réductions ou exonérations de cotisations, totale ou partielle ou des contributions dues aux organismes de protections sociale, dans la limite de cinq ans. Lorsque le « faux » sous-traitant est victime d’un accident du travail, l’employeur devra également rembourser à la branche accidents du travail et maladies professionnelles le montant des frais occasionnés par l’accident du travail. Le prétendu sous-traitant pourra également se retourner contre son cocontractant en saisissant le conseil de prud’hommes pour demander la requalification de son contrat en contrat de travail. Si le juge fait droit à sa demande, il pourra se voir allouer une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé égale à six mois de salaire, qui pourra se cumuler notamment avec une indemnité de licenciement, des dommages et intérêt pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice de congés payés. En sus, le salarié pourra demander à être indemnisé pour le préjudice subi du fait de l’inexécution fautive des obligations sociales que cela lui a causé et demander la rectification de ses droits à la retraite.
Par ailleurs, en cas d’établissement de procès-verbal pour travail dissimulé, l’autorité administrative peut prononcer des sanctions et notamment la perte de certaines aides publiques ou remboursement de celles perçues, la fermeture temporaire pendant une durée de trois mois maximum de l’établissement dans lequel s’est réalisé le travail dissimulé, et l’exclusion de certains contrats administratifs. Enfin, le procès-verbal établi par l’Urssaf peut être transmis au Procureur de la République, qui décidera de l’opportunité des poursuites. En cas de poursuites, le tribunal correctionnel pourra prononcer différentes peines : d’une part, à l’encontre de la personne physique, 45 000 euros d’amende et trois ans emprisonnement ; 75 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement, lorsque l’infraction est commise à l’égard d’un mineur soumis à l’obligation scolaire, de plusieurs personnes ou d’une personne vulnérable ou dépendante ; et 100 000 euros d’amende et 10 ans d’emprisonnement, lorsque l’infraction est commise en bande organisée (articles L.8224-1 et suivants du code du travail) et d’autre part, à l’encontre de la personne morale, 225 000 euros d’amende, 375 000 euros d’amende en cas d’emploi dissimulé d’un mineur soumis à l’obligation scolaire ou d’une personne vulnérable ou dépendante et 500 000 euros en cas d’infraction en bande organisée (articles L.8224-5 du code du travail et 131-38 du code pénal).
La personne physique encourt aussi des peines complémentaires telles qu’une interdiction d’exercice, une exclusion des marchés publics, une confiscation des objets ayant servi à commettre l’infraction, un affichage ou diffusion de la décision prononcée et une interdiction des droits civiques, civils et de famille, tout comme la personne morale, pour laquelle il est prévu un placement sous surveillance judiciaire, une interdiction de percevoir toute aide publique durant cinq ans maximum, une fermeture d’établissements…
Quelques conseils
Avant la conclusion d’un contrat de sous-traitance, il conviendra de vérifier que le sous-traitant est bien immatriculé. La remise d’un justificatif de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers et d’une attestation de vigilance au donneur d’ordre est vivement conseillé même pour les contrats inférieurs à 5 000 euros. Cette attestation de vigilance certifie que le sous-traitant est bien à jour de ses déclarations et cotisations sociales et elle devra être renouvelée tous les six mois jusqu’à la fin de la réalisation de la prestation (articles L.8222-1 à L.8222-5, R.8222-1 du code du travail et L.243-15 du code de la sécurité sociale). Le donneur doit s’assurer de la conformité de cette attestation auprès de l’organisme de recouvrement compétent soit par voie dématérialisée, soit sur demande auprès de l’organisme concerné (articles D.8222-5 du code du travail et D.243-15 du code de la sécurité sociale).
A défaut d’effectuer ces vérifications, le donneur d’ordre est solidairement tenu avec le sous-traitant de payer les impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus au Trésor public et aux organismes de protection sociale, les rémunérations, indemnités et charges dues au titre de l’emploi de travailleurs dissimulés, le cas échéant, le remboursement des sommes correspondantes au montant des aides publiques reçues. Cette solidarité sera déclenchée par l’établissement du procès-verbal pour délit de travail dissimulé.
De plus, l’organisme de recouvrement procédera à l’annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont le donneur d’ordre a pu bénéficier au titre des rémunérations versées à ses salariés (article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale). Cette annulation s’appliquera pour chacun des mois au cours desquels la situation est vérifiée et est plafonnée à 15 000 euros pour une personne physique et à 75 000 euros pour une personne morale.
La rédaction du contrat de sous-traitance devra être faite avec le plus grand soin. Toutes obligations du sous-traitant à l’égard du donneur d’ordre pouvant être
assimilées à un lien de subordination devront être impérativement exclues. Durant l’exécution du contrat, toutes pratiques qui pourraient être analysées comme une subordination seront aussi prohibées.
L’opération de sous-traitance sera licite, lorsque le sous-traitant :
- se sera engagé à l’exécution d’une tâche spécifique et nettement définie que l’entreprise donneuse d’ordre ne veut ou ne peut pas accomplir elle-même avec son propre personnel, pour des raisons économiques ou techniques (arrêt du 19 mars 1985) ;
- fournira et possédera les matériaux nécessaires à son travail ;
- assumera la responsabilité de l’exécution des travaux et encadrera son propre personnel. Le personnel du sous-traitant ne doit pas être intégré de fait dans l’entreprise utilisatrice donneuse d’ordre, en jouissant notamment des mêmes conditions de travail que les salariés de cette dernière (arrêt du 21 janvier 1986) ;
- percevra une rémunération forfaitaire pour l’accomplissement de la tâche (arrêt du 25 juin 1985), qui sera librement négociée avec le donneur d’ordre.